1.5.11

Manifeste (par Raulberto Cavaliero)

MANIFESTE du GRANFUTURISMO

- Ce en réponse au Manifeste du Futurisme de Marinetti ; pour programme d'un cycle d'actions qui devrait nous tenir quelque temps. R.C. -


* * *


1.
Je veux chanter la peur, les corps mous et le doute.

2.
Les éléments essentiels de ma poésie seront l’ennui, le flegme et l’attente.

3.
L’art rêvant glorieusement de révolte et de destructions, de grands actes barbares, je veux exalter le mouvement immobiliste, l’insomnie pâteuse, le pas maladroit, le saut de côté et les dents cassées.

4.
Je déclare que la splendeur du monde, sous des effets de vitesse, n’est que pareille à elle-même. Une voiture de ville, ses tapis sales et ses portières froissées, crache une fumée molle… une automobile étouffée, qui se traîne sur la highway, n’est aucune victoire, mais spectacle méritant.

5.
Je veux chanter l’homme côté passager, dont la tige idéale, pâle et ramollie, ne traverse rien.

6.
Il faut qu’écrivaillon, peu en fasse ; et fasse éclat et prodige pour augmenter la ferveur enthousiaste de son emmerdement.

7.
Il n’y a plus de beauté dans la lutte, mais bien dans son échec. Pas de chef-d’œuvre sans lambiner. La poésie doit être un assaut d’agonie devant les forces inconnues qui font se coucher l’homme.

8.
Nous sommes à l’arrière-garde des temps. Nous ne voyons qu’hier et un futur fantasmé ; le moment de faire quoi que ce soit – et surtout pas le possible –, non. « Au terme d’un préjudice spatiotemporel »1 ; nous vivons dans l’abolu ; autour de nous cette éternelle vitesse omniprésente.

9.
Rien à glorifier. Les hommes de la patrie le font eux-mêmes, en récompenses : affiches et placards. Tout acte, tout dire a déjà le mérite d’être, tant il est inutile sinon à l’égorgé qui le murmure. Pas de belles idées sinon utopiques. Je garde mon mépris pour celui qui sait mieux que moi.

10.
Je veux simplement jouer aux cailloux, aux Légos, aux « Livre dont vous êtes le héros », à la poupée, être utilitaire à son chacun.

11.
Je chanterai la solitude, l’indécision, la contrariété et le grognement ; les ressacs multicolores et polyphoniques (donc incompatibles) des révolutions manquées dans les capitales ; la vibration nocturne des machines et des usines, les éclairages au néon des enseignes des boutiques ; les gares, les retards, fumer des cigarettes Fortuna ; les ponts qui relient deux rives, où l’on traîne le nez dans l’eau ; les paquebots aventureux sur lesquels on ne montera pas ; les trains TER, qui toussent sur les rails, les seuls que l’on prend car ils sont moins chers et leurs destinations nous rassurent ; les spectateurs derrière les vitrines ; frôler mais pas toucher.

12.
Si j’en ai le courage, je passerais dans la pièce d’à côté. Peut-être quelqu’un y aura-t-il quelque chose à dire qui me fera douter de l’annonce faite.

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1 Brown Emmet, Paradox and continuum, Hill Valley University Press, 1979.

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